Édition du lundi 9 mars 2015
Philippe Laurent : « Michel Sapin nous prend pour des imbéciles »
© A.Faidy
Que pensez-vous des déclarations de Michel Sapin sur l’effet de l’inflation dans les collectivités ?
J’en pense que le ministre des Finances prend les maires pour des imbéciles. Alors que le Premier ministre que nous avons rencontré jeudi dernier nous a paru plutôt ouvert, et nous a donné l’impression qu’il partageait en partie nos préoccupations, ces déclarations de Michel Sapin font l’effet inverse.
Sur le fond, la non-inflation n’est en aucun cas une bonne nouvelle pour les comptes publics –ni ceux des collectivités, ni ceux de l’État, d’ailleurs. Tout le monde sait, pour commencer, que lorsqu’il n’y a pas d’inflation, la dette coûte plus cher à rembourser. C’est même le seul mérite de l’inflation – de diminuer le poids de la dette.
Par ailleurs, l’indice des prix n’est pas le même pour les ménages et pour les collectivités. Nous publions régulièrement un indice des prix du maire, et il présente un écart de 0,6 points avec l’indice Insee des prix à la consommation (1). Pourquoi ? Parce que nous sommes soumis à des dépenses importantes en matière d’énergie, de matériel, etc., qui ne connaissent pas de stagnation des prix. Enfin, pour ce qui concerne les marchés publics, ces marchés incluent des indices de révision de prix qui sont aussi liés au prix de l’énergie, et augmentent donc plus vite que les prix à la consommation pour les ménages.
Il n’y a pas de stagnation non plus sur les dépenses de fonctionnement ?
Bien sûr que non ! Même si le point d’indice reste bloqué, il reste toujours le GVT (glissement vieillesse technicité, c’est-à-dire la prise en compte de l’ancienneté des agents). Cela représente, à personnel constant et à point d’indice constant, une augmentation mécanique de la masse salariale de 1 à 1,5 % par an. Cela n’est pas anormal, compte tenu des revenus d’un grand nombre d’agents, notamment de catégorie C, qui ont des salaires faibles, mais cela se traduit quand même par des augmentations de coûts du personnel, qui sont liées à l’application des textes et non à la volonté des collectivités. Même chose pour les cotisations retraites, qui augmentent à cause du système de surcompensation imposé à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Là aussi, c’est bien l’État qui l’impose, ce n’est pas un choix des maires !
Conclusion, le constat de cette faible inflation calculée par l’Insee ne s’applique pas aux dépenses des collectivités.
Michel Sapin a aussi déclaré que la diminution des investissements n’avait « rien à voir avec la baisse des dotations » mais était due aux élections. Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas exact. La baisse des investissements, elle existe déjà, aujourd’hui, mais il faut surtout regarder ce qui va se passer en 2015, 2016, 2017 ! Je le dis souvent, il n’y a pas de trésor caché dans les collectivités locales, on ne peut pas aller chercher de l’argent sur des livrets d’épargne – puisqu’il n’y en a pas ! Donc, si nous avons moins de recettes, il n’y a que trois solutions : diminuer le niveau de services rendus ; augmenter les impôts ; ou baisser l’autofinancement, c’est-à-dire, pour ne pas augmenter l’endettement de manière inconsidérée, diminuer les investissements. Faites une enquête, et montrez-moi une seule collectivité qui ait prévu d’augmenter ses dépenses d’investissements en 2015 ! Il faut être sérieux. Dans ma commune, à Sceaux, je suis passé de 8 millions à 5 millions d’investissement cette année, et on ne peut pas dire que ce soit à cause d’un changement de majorité électorale.
Le ministre est dans le déni, il ne veut pas reconnaître la situation réelle dans laquelle se trouvent les collectivités locales. S’il les reconnaissait, en disant : « Voilà, c’est le choix politique que nous faisons », passe encore ! Mais là, non, ce n’est pas correct. Les maires de France sont tout aussi porteurs de l’intérêt général que n’importe quel ministre, ils ne sont ni plus bêtes ni moins compétents. Alors, nous ne comprenons pas, et nous n’acceptons pas cette stigmatisation permanente.
Propos recueillis par Franck Lemarc
(1) Selon l’AMF, « l’indice de prix des dépenses communales a progressé en moyenne de 2,2 % par an entre 1999 et 2013 contre + 1,6 % pour l’indice des prix à la consommation hors tabac ».
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